Les médias traitent d'une multitude de sujets d'actualité où la Statistique est largement impliquée. Cependant, dans de trop nombreux cas, il n'est pas facile d'identifier ce rôle central de notre discipline par des non experts, ainsi que ses implications au sens large. Cet état est préjudiciable au rayonnement légitime de la Statistique puisqu'elle est, de fait, mal identifiée par le grand public, les décideurs publics, les entrepreneurs, etc.
MédiaStat correspond à une initiative de la SFdS visant à apporter un éclairage de statisticien.ne.s sur un sujet d'actualité ciblé, extrait du flot médiatique.
Les Groupes Spécialisés (GS) ainsi que les membres du Conseil de la SFdS sont des contributeurs privilégiés pour MédiaStat mais chaque membre de la SFdS doit se sentir libre d'y contribuer également en écrivant à la Cellule Communication de la SFdS.
Ce mois-ci, il est question d'Intelligence Artificielle et de Mathématiques.
Très bonne lecture !
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MédiaStat n° 10 (décembre 2025)
Intelligence Artificielle et Mathématiques
L'Intelligence Artificielle (IA) au service des mathématiques était un thème encore émergent il y a quelques années. Il est désormais au cœur de transformations profondes dans nos pratiques, qu'il s'agisse d'exploration automatique de conjectures, d'assistance à la démonstration, de simulation numérique ou de modélisation de systèmes complexes. L'IA s'affirme de plus en plus comme un véritable partenaire de recherche, à un rythme plus rapide qu'on ne l'aurait cru. Les signaux en ce sens s'accumulent, comme en témoignent de nombreux événements récents.
C'est ainsi qu'il y a tout juste un mois, Timothy Gowers donnait, au Collège de France, un exposé consacré à l'impact de l'IA sur les mathématiques. Selon lui, les outils d'IA seront omniprésents dans la recherche d'ici deux à trois ans, y compris dans les pratiques plus classiques comme l'enseignement. Il souligne toutefois que les modèles actuels se heurtent encore à une barrière d'échelle : augmenter leur taille ne suffit plus pour aborder les problèmes mathématiques les plus difficiles. Mais une fois cette barrière levée, les mutations pourraient être rapides et profondes.
Dans ce contexte, la journée AI4Maths du 18 novembre dernier, organisée à l'Institut Henri Poincaré conjointement par la SFdS, la SMAI et la SMF, a offert une illustration concrète de cette dynamique. Coordonnée par Christine Keribin, Stéphane Gaussent, Vincent Leclère et Romuald Élie, elle a proposé un panorama de l'usage de l'IA, en particulier générative, dans la recherche mathématique.
L'idée d'utiliser des algorithmes pour résoudre ou explorer des problèmes mathématiques n'est pas nouvelle. Amaury Hayat a notamment expliqué comment il explore depuis plusieurs années l'utilisation de modèles d'IA pour résoudre des problèmes mathématiques avancés.
Yann Fleureau a ensuite montré que certaines performances autrefois jugées hors de portée, comme obtenir une médaille d'or aux Olympiades Internationales de Mathématiques, sont désormais atteignables par des systèmes automatisés.
La présentation d'Adam Zsolt Wagner sur AlphaEvolve a illustré la nouvelle génération d'agents IA : des modèles capables de générer du code, de construire leurs propres exemples, de sélectionner automatiquement les meilleures pistes par un mécanisme d'évaluation interne, et de progresser de manière autonome. Le fait que ce projet soit développé en collaboration avec Terence Tao, l'un des plus grands mathématiciens contemporains, donne la mesure de l'enjeu.
Si ces systèmes peuvent déjà formuler des conjectures et produire des preuves, une limite majeure subsiste : la vérification rigoureuse de leurs productions. Les assistants de preuve formelle comme Lean constituent une piste prometteuse. Patrick Massot en a illustré le fonctionnement sur un résultat classique d'analyse : la continuité préserve la convergence. Sauf qu'aujourd'hui, les assistants de preuve progressent à un rythme sans commune mesure avec celui des modèles génératifs, et l'intégration fluide entre créativité algorithmique et vérification formelle est encore hors d'atteinte.
D'autres contributions ont montré la diversité des usages actuels de l'IA en mathématiques. C'est ainsi que Victorita Dolean a exposé comment utiliser des réseaux de neurones pour résoudre des équations aux dérivées partielles, tandis que François Charton a détaillé sa démarche consistant à entraîner un petit modèle transformer pour détecter certains motifs cachés dans la dynamique de la suite de Collatz.
La journée s'est conclue par une table ronde animée par Gérard Biau, réunissant Julia Meyer (aspects environnementaux de l'IA), Hadi Quesneville (applications à l'INRAE) et Ivan Nourdin (avenir du métier de mathématicien).
L'impression qui se dégage est claire : l'essor rapide des modèles génératifs ouvre des possibilités inédites d'exploration, d'automatisation et d'assistance, tout en appelant à repenser la formation, la place de l'humain et les enjeux éthiques. Une certitude s'impose : la transformation de la recherche mathématique n'est plus à venir, elle a commencé !
Ivan NOURDIN
Professeur de Modélisation Stochastique, Université du Luxembourg
Co-fondateur de GrewIA |