Les médias traitent d'une multitude de sujets d'actualité où la Statistique est largement impliquée. Cependant, dans de trop nombreux cas, il n'est pas facile d'identifier ce rôle central de notre discipline par des non experts, ainsi que ses implications au sens large. Cet état est préjudiciable au rayonnement légitime de la Statistique puisqu'elle est, de fait, mal identifiée par le grand public, les décideurs publics, les entrepreneurs, etc.
MédiaStat correspond à une initiative de la SFdS visant à apporter un éclairage de statisticien.ne.s sur un sujet d'actualité ciblé, extrait du flot médiatique.
Les Groupes Spécialisés ainsi que les membres du Conseil de la SFdS sont des contributeurs privilégiés pour MédiaStat mais chaque membre de la SFdS doit se sentir libre d'y contribuer également en écrivant à la Cellule Communication de la SFdS.
Ce mois-ci, il est question des conséquences de la proposition de loi concernant l'interdiction du démarchage téléphonique sans consentement votée par l'Assemblée nationale, le 6 mars 2025.
Très bonne lecture !
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MédiaStat n° 3 (avril 2025)
Études et sondages par téléphone :
victimes collatérales du projet de loi pour un démarchage téléphonique consenti ?
Le Sénat a adopté en novembre dernier une proposition de loi « pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus » posant, entre autres, le principe du consentement préalable : le démarchage téléphonique ne sera autorisé que si le consommateur a donné son consentement préalable, contrairement au système actuel où le consommateur doit s'opposer après coup. Ainsi, par défaut, les numéros de téléphone fixe seront tous inscrits d'office sur la liste rouge, à l'instar des numéros de téléphone mobile.
Les instituts d'études et de sondage sont directement concernés par cette proposition de loi. En effet, bien qu'ils n'entrent pas dans le champ de cette nouvelle loi - leur activité ne s'apparentant pas à de la prospection commerciale -, ils sont soumis depuis le 1er janvier 2023, en tant qu'utilisateurs d'automates d'appel, à l'obligation d'utiliser certains numéros, appelés numéros polyvalents vérifiés (NPV) pour tout appel émanant d'un système automatisé. Ces numéros sont facilement identifiables, car ce sont ceux commençant par les préfixes suivants : 01 62, 01 63, 02 70, 02 71, 03 77, 03 78, 04 24, 04 25, 05 68, 05 69, 09 48 et 09 49. Les appels des instituts sont donc assimilés à des appels publicitaires, voire frauduleux, et les conséquences s'en ressentent sur le nombre d'appels décrochés.
La proposition de loi votée par le Sénat visant à interdire le démarchage téléphonique prévoyait que les instituts d'études et de sondage soient, de fait, exemptés de l'utilisation de ces NPV. Cette proposition de loi était examinée le 19 février en première lecture à l'Assemblée nationale, qui a voté la suppression de l'article qui prévoyait l'exemption d'utilisation des NPV. L'Assemblée nationale a donc adopté le 6 mars en première lecture la proposition de loi et rejeté les amendements qui concernaient cette exemption.
L'abandon de cette exemption n'est pas le seul effet négatif de ce débat. La communication qui a été faite sur le sujet dans les médias va encore accentuer la méfiance du grand public envers les appels émanant de numéros polyvalents vérifiés, altérant la représentativité des échantillons et la fiabilité des résultats des enquêtes par téléphone ; en effet, les personnes attentives aux numéros qui les appellent ou filtrant certains types de numéros ont probablement un profil particulier, ce qui peut conduire à biaiser les estimations. Or les instituts d'études et de sondage traitent de problématiques qui sont au cœur du débat public : enquêtes sociales, enquêtes épidémiologiques et de santé, recensement agricole, mesure d'audience, etc. Ces enquêtes, dont certaines, reconnues d'intérêt général et de qualité statistique, sont même rendues obligatoires par la loi sur la statistique publique de 1951, contribuent à l'information des institutions publiques, des entreprises et de l'opinion publique et constituent un outil d'aide à la décision essentiel au fonctionnement de la démocratie.
Tout biais dans les résultats des enquêtes est donc fortement dommageable. Or, aujourd'hui, l'usage du téléphone pour la réalisation d'études statistiques, d'enquêtes et de sondages, reste indispensable, notamment pour joindre les personnes les plus éloignées du numérique et encourager les moins disposées à donner spontanément leur avis. Le téléphone est donc un moyen de ne pas exclure des populations particulières du champ des enquêtes, de conserver une représentativité indispensable à la qualité statistique et de permettre la participation la plus complète des différentes catégories de personnes.
C'est pourquoi le Groupe Spécialisé Enquêtes de la SFdS soutient l'exemption d'utilisation des NPV pour la réalisation d'études et de sondages afin de garantir leur qualité statistique.
Gwennaëlle BRILHAULT, Philippe BRION, Jean CHICHE, Jérôme CUBILLÉ, Thomas DEROYON, Yves FRADIER, Stéphane LEGLEYE, Thomas MERLY-ALPA, Thomas RENAUD, Noémie SOULLIER et Aurélie VANHEUVERZWYN
pour le Groupe Spécialisé Enquêtes de la SFdS |