Sommaire du n° 43
Éditorial
Méthodes : - L’État britannique est-il devenu aveugle ?
- Appariements entre bases de données :
des restrictions excessives ou proportionnées ?
Vie des institutions : - Le règlement européen sur les statistiques a été modifié
- Nomination de nouveaux responsables d’instituts nationaux
de statistique
- Un des premiers « executive orders » signé par D. Trump
concerne le recensement de la population
Outils : - Le questionnaire du recensement de la population évolue
- La population de Mayotte est-elle vraiment sous-estimée ?
Humour : - 2025 est une année extraordinaire pour les statisticiens
Nous avons lu
Annonce de manifestation
Vie du groupe
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Editorial
Ce numéro de La Statistique dans la cité est le premier de l’année 2025. C’est donc avec un certain retard de calendrier que nous vous présentons les vœux du groupe Statistique et enjeux publics pour cette année. Mais nous ne pouvons pas ne pas penser à cette occasion à ceux de nos collègues qui vivent une situation difficile dans leur pays, en particulier au Proche-Orient et en Ukraine. Le numéro 30 de La Statistique dans la cité avait donné la parole en juin 2022 à nos collègues ukrainiens qui avaient pu ainsi faire part à leurs collègues français des problèmes quotidiens qu’ils rencontrent en raison de l’agression russe depuis maintenant trois ans. Nous voudrions malgré toutes ces difficultés vous souhaiter une bonne année 2025 pendant laquelle, il faut l’espérer, l’information statistique jouera un rôle toujours plus important dans la vie de la société globale et constituera une base indispensable pour un développement durable. Nous avons tous une grande responsabilité dans la contribution à l’émergence d’un monde où prévaudront la paix, la liberté, la prospérité, la santé, la sécurité et la justice.
2025 sera sans doute une année charnière en raison d’une tendance croissante aux États-Unis d’une dérégulation du marché de l’information, tandis qu’au sein de l’Union européenne, deux règlements ont été adoptés par le Parlement et le Conseil pour fournir un cadre fiable, efficace et éthique au développement des technologies du numérique et de leur utilisation : le Règlement sur les services numériques ( Digital Services Act - DSA) qui a pour but de lutter contre la diffusion de contenus illégaux et d'instaurer plus de transparence entre les plateformes en ligne et leurs utilisateurs, et le Règlement sur les marchés numériques ( Digital Markets Act - DMA) qui vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’Internet et à corriger les déséquilibres de leur domination sur la marché du numérique. Ces deux règlements sont venus compléter le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Dans ce contexte, le groupe Statistique et enjeux publics poursuivra en 2025 ses efforts pour montrer comment la statistique éclaire les débats publics et contribue à éclairer les décisions.
La rédaction sera toujours heureuse des critiques et suggestions qu’elle recevra et invite ses lecteurs à réagir au contenu de ses lettres et à lui signaler les informations susceptibles d’intéresser notre communauté. Cet appel s’adresse à tous les statisticiens, qu’ils appartiennent ou non au système statistique public, mais aussi à tous ceux qui, sans être statisticiens, partagent notre objectif.
N’hésitez donc pas à nous écrire à l’adresse sep@sfds.asso.fr.
Méthodes
L’État britannique est-il devenu aveugle ?
C’est ce que pense en tout cas un journaliste de The Economist qui tire à boulets rouges sur les performances de l’ Office for National Statistics, l’équivalent britannique de l’Insee. Dans un article du 4 décembre 2024 relayé par Courrier International, il lui reproche notamment de ne pas savoir compter les migrants, ni le nombre de personnes ayant un emploi, de sous-estimer le PIB en omettant 48 milliards d’euros de prestations sociales, d’être incapable de mesurer la délinquance. Il s’attaque également au fait que la loi autorise les patients à refuser que leurs données médicales soient utilisées à des fins de recherche et de planification. Et, pour couronner le tout, il évoque les menaces planant sur la tenue du recensement de la population, pratiqué depuis 1841…
Sans prétendre juger du bien-fondé de ces critiques, on peut cependant noter quelques réflexions qui peuvent avoir une résonance, y compris pour nos statistiques nationales.
L’auteur de l’article estime que « dans un système qui adore les fausses économies, lésiner sur le budget de l’agence de la statistique est la pire idée qui soit », car pense-t-il « si les statistiques sont les yeux de l’État, les autorités britanniques ont manifestement la vue qui baisse ». Il regrette que « au lieu d’essayer d’en savoir plus, l’État préfère parfois délibérément faire sans savoir. »
Et il conclut : « L’État n’a plus qu’une chose à faire : être curieux de ce qu’il ne sait pas et humble face à ce qu’il croit savoir ».
Appariements entre bases de données : des restrictions excessives ou proportionnées ?
Dans son numéro 36 d’octobre 2023, La Statistique dans la cité s’interrogeait sur l’encadrement peut-être excessif des usages du Nir (1) qui empêche ou freine les appariements entre bases de données non nominatives qui pourraient être essentiels pour la recherche et l’évaluation des politiques publiques. Trois raisons de revenir sur le sujet :
- l’actualité et la vivacité des débats sur les insuffisances et/ou les excès de la réglementation en général, dans le traitement des données personnelles en particulier ;
- les modifications récentes du règlement statistique européen(2) qui ouvre notamment l’accès (à des fins statistiques mais aussi de recherche) aux données administratives et à certaines données des entreprises ;
- certaines limitations du nouveau Répertoire statistique des individus et des logements(3) (Résil).
En Europe et plus particulièrement en France, on se préoccupe plus qu’ailleurs de la protection des données personnelles : le traitement de ces données doit être utile mais l’utilité est à apprécier au regard des risques pour la vie privée. Ce principe de proportionnalité est excellent même si l’appréciation de l’utilité et des risques comporte un élément de subjectivité qui varie selon les cultures et les pays, d’où l’intérêt d’une concertation et de décisions démocratiques. Encore faut-il en revanche que les interdictions ou limitations ne résultent pas d’une appréciation trop contestable des faits. Or, s’agissant de sujets complexes et techniques, il arrive que des limitations interdisent des études très utiles au nom de risques largement exagérés.
Si on prend l’exemple du Résil, la création de ce répertoire est certainement une grande avancée qui, en France, facilitera demain la préparation des enquêtes de recensement et des autres enquêtes socio-démographiques ainsi que les appariements de bases de données entre elles. Il s’agit d’associer un répertoire des individus avec un répertoire des logements : qui habite où et donc avec qui ? Où l’Insee peut-il chercher les informations utiles pour alimenter ce nouveau répertoire et comment et à quoi les services de la statistique publique (et eux seuls ?) peuvent-ils l’utiliser ? Nombre de fées se sont penchées sur son berceau : la Cnil, le Conseil d’État et un groupe de concertation du Cnis. Les travaux de ce groupe apportent beaucoup d’informations ; il est évident que le Résil sera très utile, notamment pour apparier des bases de données entre elles. Toutefois, on peut s’interroger sur certaines limitations :
- L’usage du répertoire et des appariements qu’il permet est limité aux services de la statistique publique, ce qui exclut a priori les chercheurs, contrairement aux prescriptions du nouveau règlement statistique européen.
- Le Résil ne pourra s’alimenter ni auprès du système national des données de santé (même pas pour répondre à la question : « telle personne a-t-elle fait usage de sa carte Vitale au cours des 12 mois précédents ? »), ni auprès du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), ne serait-ce que pour confronter le Résil aux « signes de vie » tirés du RNCPS.
- Conformément à l’article 30 de la Loi informatique et libertés, seuls les services de la statistique publique sont libres d’apparier des données administratives à caractère personnel sans autres formalités que celles prévues par le RGPD (étude d’impact, enregistrement), au motif que l’Insee n’utilise pas le Nir mais un « code statistique non signifiant ». Ainsi les chercheurs sont astreints à des procédures plus lourdes, plus coûteuses et chronophages, notamment lorsque les traitements envisagés portent sur des données classées comme sensibles (données de santé en particulier).
Il est difficile de comprendre pour quelles raisons la France et l’Union européenne n’unifient pas leurs procédures de traitements à finalité d’intérêt public (statistique publique, recherche et évaluation) entre les pays et entre les types de données personnelles… C’est d’autant plus dommageable qu’un pays comme la France, du fait de sa population et du caractère centralisé de ses administrations, dispose dans de nombreux domaines, en santé notamment, des plus grandes bases exhaustives au monde : elle pourrait produire de manière quasi automatique une masse gigantesque de statistiques et d’études dont les résultats seraient parfaitement anonymes et susceptibles d’être utilisés à des fins d’intérêt public.
Il est vrai que des précautions doivent être prises pour limiter les accès aux bases de données qui, du fait de leur précision et du nombre des données par personne, présentent un caractère personnel même si chaque personne n’y est identifiée que par un code obtenu au moyen de procédés cryptographiques irréversibles ; mais il existe pour ce faire des méthodes sûres, éprouvées et peu coûteuses.
(1) Le Nir est le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Il sert de numéro de sécurité sociale et d’identifiant national de santé (INS).
(2) Un article de ce numéro de La Statistique dans la Cité présente les modifications apportées récemment à ce règlement.
(3) Le Résil a été présenté dans le numéro 37-38 (février 2024) de La Statistique dans la cité et était le thème du Café de la Statistique du 14 janvier 2025.
Vie des institutions
Le règlement européen sur les statistiques a été modifié
Depuis 2009, l’élaboration des statistiques européennes est régie par le règlement 223/2009 du Parlement Européen et du Conseil. Déjà révisé une première fois en 2015, ce règlement vient d’enregistrer une nouvelle modification par le règlement 2024/3018 du 27 novembre 2024, publié au Journal Officiel de l’Union européenne le 6 décembre 2024.
Les principales modifications portent sur les points suivants :
- un nouveau dispositif est mis en place afin de permettre d’apporter une réponse statistique aux besoins urgents en situation de crise. Ayant son origine dans la pandémie de Covid 19 et la crise énergétique et du coût de la vie déclenchée par la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, cette nouvelle réglementation permet à Eurostat d’entreprendre des actions hors du programme de travail statistique européen. Ces actions peuvent être de nouvelles sources ou collectes de données, de nouveaux indicateurs statistiques ou de nouvelles lignes directrices méthodologiques. Des conditions sont évidemment mises à ces actions sortant du droit commun.
- un INS ou Eurostat peut demander à un détenteur de données privé de mettre à disposition gratuitement des données et les métadonnées pertinentes, lorsque les données demandées sont strictement nécessaires pour le développement, la production et la diffusion de statistiques européennes et que celles-ci ne peuvent être obtenues autrement ou que leur réutilisation entraînera une réduction considérable de la charge de réponse pesant sur les détenteurs de données et d’autres entreprises. Cette disposition existait déjà dans le droit français. Elle est élargie et renforcée au niveau européen. Le refus par un détenteur de données de se soumettre à cette demande peut être sanctionné par une amende de 25 000 € et de 50 000 € en cas de récidive.
- Eurostat met en place une infrastructure sécurisée pour faciliter le partage de données non confidentielles entre elle-même et les membre du Système statistique européen (SSE) et du Système européen des banques centrales (SEBC).
- l’accès aux données confidentielles, y compris les données mises à disposition par des détenteurs de données privés, qui ne permettent qu’une identification indirecte des unités statistiques peut être accordé, par Eurostat ou par les INS, à des chercheurs réalisant des analyses statistiques à des fins scientifiques. Si les données ont été transmises à Eurostat, le consentement de l’INS ou de l’autre autorité nationale ayant fourni ces données est requis.
Nomination de nouveaux responsables d’instituts nationaux de statistique
L’article 1.8 du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne stipule les conditions dans lesquelles les responsables des instituts nationaux de statistique des pays membres de l’Union européenne, d’Eurostat et, le cas échéant, des autres autorités statistiques doivent être nommés. Il précise que les procédures de recrutement et de nomination de ces responsables doivent être transparentes et exclusivement fondées sur des critères professionnels et que, par ailleurs, les motifs de fin de fonctions sont fixés par le cadre juridique, mais qu’il ne peut s’agir de raisons susceptibles de mettre en péril l’indépendance professionnelle ou scientifique.
En France, le départ du directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, a été annoncé par un communiqué de presse du 3 février 2025 du ministère de l’économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique. Ce communiqué lance un appel à candidature pour le recrutement de son successeur. Il précise que sa nomination suivra les principes applicables aux directeurs d’administration centrale, auxquels s’ajoute une procédure d’avis spécifique de l’Autorité de la statistique publique, portant sur les compétences de la personne retenue au regard du principe d’indépendance professionnelle énoncé par le Code de bonnes pratiques de la statistique européenne. Les candidatures présélectionnées seront présentées à l’Autorité de la statistique publique afin qu’elle formule un avis sur les compétences professionnelles des candidats au regard des critères d’indépendance professionnelle rendus publics. La procédure annoncée par ce communiqué respecte donc bien en tous points l’article 1.8 du Code de bonnes pratiques.
Par ailleurs, l’office central de statistique de Pologne ( Główny Urząd Statystyczny - GUS) a connu fin 2024 un changement de président. Le Dr. Dominique Rozkrut a été amené à cesser ses fonctions le 18 novembre 2024, ce qui a entrainé une certaine émotion parmi quelques-uns de nos collègues, notamment au sein de l’ International Statistical Institute et de l’ American Statistical Association. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a nommé à ce poste avec effet au 1er janvier 2025 le Dr. Marek Cierpiał-Wolan, professeur à l’Université de Rzeszów où il enseignait l’inférence statistique et l’économétrie. Celui-ci a également été Gestionnaire et expert de nombreux projets de recherche nationaux et internationaux pour le compte de la Commission européenne (Eurostat), de la Commission de Statistique des Nations unies ou de l’Organisation mondiale de la santé. Son profil semble en tout point conforme aux prescriptions de l’article 1.8 du Code de bonnes pratiques.
Un des premiers « executive orders » signé par D. Trump concerne le recensement de la population
L’un des centaines de décrets (« executive orders ») signés par le Président Trump immédiatement après son investiture a consisté à révoquer un décret de l’administration Biden qui avait confirmé la pratique consistant, depuis le tout premier recensement en 1790, à inclure dans les résultats le nombre total de personnes résidant dans chaque État, conformément d’ailleurs aux recommandations internationales. Ce décret avait été pris suite aux tentatives de la première administration Trump de modifier les résultats des recensements en excluant du décompte les millions de résidents sans statut légal. Il faut toutefois noter que ce nouveau décret devrait normalement être annulé par des juges fédéraux car il est contraire au 14e amendement adopté après la guerre de Sécession en vue de généraliser le droit du sol. L’article 2 du 14e amendement prévoit notamment en effet que le nombre de représentants et le nombre de votes au collège électoral seront répartis entre les divers États proportionnellement à leur population respective, calculée en comptant tous les habitants de chaque État. Dans son nouveau décret, le Président Trump a déclaré que la révocation du décret de l’administration Biden était « la première des nombreuses mesures que le gouvernement fédéral des États-Unis prendra pour réparer nos institutions et notre économie ».
Les groupes conservateurs à l'origine du Projet 2025 proposent de reprendre un décret de la première administration Trump, mais annulé à l’époque par la Cour Suprême, visant à ajouter une question sur la citoyenneté dans le recensement. Un nombre croissant de membres républicains du Congrès a présenté des projets de loi qui prévoient d'utiliser le prochain décompte pour compter les citoyens non américains vivant dans le pays, puis de soustraire une partie ou la totalité de ces résidents des découpages électoraux (le fameux « gerrymandering » pour les connaisseurs de la vie politique américaine) et de la répartition des représentants au Congrès. Cela ne semblerait toutefois pas contraire à la bonne pratique statistique à condition que bien sûr aucun habitant ne soit exclu du recensement proprement dit. Mutatis mutandis, c’est bien ce qui a été réalisé en France quand il a été décidé de produire un indice des prix sans tabac et alcool en parallèle avec l’indice officiel des prix à la consommation.
Plus généralement, bien que les agences statistiques n'aient pas été nommées spécifiquement, certains observateurs – et notamment l’American Statistical Association - craignent que les appels du Président Trump à réduire de façon drastique les effectifs du gouvernement fédéral ne mettent en danger l'intégrité du système statistique américain.
Ces derniers mois, avant même l’intronisation du Président Trump, les déficits budgétaires et les restrictions de financement à court terme avaient déjà conduit à mettre fin à certaines publications du Bureau d'analyse économique (BEA) et du Bureau of Labor Statistics (BLS) ou à réduire le nombre de personnes interrogées dans la très importante American Community Survey du Census Bureau. La réduction des financements à long terme menace par ailleurs la préparation du recensement décennal de 2030, ce qui pourrait forcer à annuler certains de ses tests, en particulier ceux visant à améliorer la collecte dans les communautés hispanophones, les zones rurales et les réserves autochtones.
Au moment de boucler ce numéro de La Statistique dans la cité, la rédaction vient d’apprendre que pratiquement tous les contrats de personnel du National Center for Education Statistics (NCES) venaient d'être résiliés. Le NCES est le service statistique du ministère de l'éducation (Department of Education) des États-Unis.
Outils
Le questionnaire du recensement de la population évolue
Les enquêtes annuelles de recensement se sont terminées le 15 février dans tous les départements métropolitains et dans la plupart des DOM. Les populations de référence 2022 sont entrées en vigueur au 1er janvier 2025. Le terme de populations de référence se substitue à l’ancien terme de populations légales utilisé jusqu’aux populations 2021, à la suite d’une recommandation de l’Autorité de la statistique publique formulée le 14 juin 2024 afin d’éviter toute ambiguïté et toute mauvaise interprétation du mot « légal », le recensement portant bien sur l’ensemble de la population résidant en France.
Les textes juridiques modifiant à nouveau le décret du 5 juin 2003 relatif à l’organisation du recensement et l’arrêté fixant ses règles de diffusion, ont été publiés au Journal officiel des 30 et 31 mars 2024. En particulier, l’enquête annuelle de recensement 2025 intègre trois nouvelles questions sur le bulletin individuel, qui portent sur la pratique du télétravail, les limitations d’activité dans la vie quotidienne et le lieu de naissance des parents. Un article du blog de l’Insee présente cette évolution du questionnaire. La réponse à ces deux dernières questions sensibles sur l’indicateur global de limitation d’activité, dit « GALI » et sur le lieu de naissance des parents est explicitement présentée comme facultative, contrairement aux autres questions pour lesquelles la réponse est obligatoire.
La réflexion sur le contenu du questionnaire du recensement n’est pas nouvelle, sachant que celui-ci doit rester une opération simple pour obtenir une bonne adhésion des habitants. En août 2012, le rapport n°130 « Evolution du questionnaire du recensement de la population » du Conseil national de l’information statistique (Cnis) faisait état de dix-huit propositions d’évolutions relatives au questionnaire individuel ou à celui sur le logement ; quatre ont été mises en œuvre : distinction, parmi les personnes vivant en couple, de celles unies par un Pacte civil de solidarité (Pacs) ; collecte des liens familiaux qui unissent tous les membres du ménage deux à deux (et non plus uniquement vis-à-vis de la personne de référence) ; isolement de la modalité « vélo » comme mode de transport domicile-travail ; révision de la nomenclature des diplômes pour tenir compte de l’évolution de l’enseignement supérieur et des contraintes d’harmonisation internationale.
En 2020, le dialogue a repris sur les propositions du rapport de 2012 non satisfaites à ce stade, puisque le passage à la PCS 2020, la nouvelle nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles, permettait de réduire le nombre de questions et dégager ainsi de la place pour en poser de nouvelles. Après un long processus de concertation et de validation sur l’utilité des questions posées et leur légitimité dans une enquête d’une telle ampleur, la Cnil consultée sur le projet de décret a rendu un avis favorable, au vu notamment de l’apport de ces questions à la connaissance et du résultat des tests montrant que la défiance vis-à-vis des questions relatives au handicap ou au lieu de naissance des parents restait peu fréquente.
- La question sur la pratique et la fréquence du télétravail vise à donner un éclairage, à un niveau géographique fin ou sur des groupes sociaux particuliers, sur cette pratique qui s’est accélérée au moment de la crise sanitaire. Disposer d’une telle information permettra aux décideurs et aménageurs locaux d’affiner les diagnostics territoriaux sur les besoins en infrastructures de transport, au vu des modifications sur les déplacements domicile-travail, mais aussi du niveau des équipements et de l’accessibilité au haut débit ou aux espaces de coworking.
- La statistique publique reste régulièrement interpellée sur un défaut d’informations sur le handicap et l’autonomie, bien que la question sur les limitations d’activité existe déjà dans plusieurs enquêtes. Avec cette nouvelle question dans le recensement de la population, les acteurs locaux en charge de ces politiques pourront disposer d’informations précises sur les besoins dans leurs territoires, par exemple pour définir l’offre d’hébergement ou l’offre de services à domicile pour les personnes handicapées ou dépendantes.
- L’introduction de la question sur le lieu de naissance des parents permettra de rendre compte de la diversité de la population et de documenter les questions de mobilités résidentielles entre générations et de ségrégation spatiale. Selon l’Insee, cette nouvelle question permettra ainsi notamment de mieux connaître la situation des descendants d’immigrés et de mieux analyser les inégalités de situation et les discriminations qui se prolongent au-delà de la première génération. Bien que cela ne « colle » pas parfaitement à la définition, cela donne une image suffisamment fidèle de la population des descendants d’immigrés, surtout pour les enfants de deux parents immigrés, la population la plus exposée aux discriminations. Le recueil de cette information dans le recensement permettra d’étudier sur deux générations la ségrégation sociale et résidentielle, les inégalités de situation et les discriminations éventuelles par origine détaillée et au niveau local. La question des origines géographiques concerne également des personnes dont les parents sont nés en France. Cette nouvelle question permettra par exemple de relier les migrations infranationales avec les origines : reste-t-on dans sa région d’origine ? Y retourne-t-on et quand ?
Si l’introduction des questions sur le télétravail et le handicap a fait consensus, l’ajout du lieu de naissance des parents a fait davantage débat. L’Insee a rappelé les strictes règles de confidentialité, sur les enquêtes de recensement qui ne peuvent être utilisées qu’à des fins d’établissement de statistiques et d’études et en aucune façon pour fonder des décisions individuelles.
La population de Mayotte est-elle vraiment sous-estimée ?
Dans son numéro 40 (juin 2024), La Statistique dans la cité publiait un billet d’humeur, suite aux déclarations faites par Mme Marine Le Pen lors de son passage à Mayotte le 21 avril 2024. La population de référence de ce département au 1er janvier 2024 mesurée à travers les enquêtes annuelles de recensement était de 320 601 habitants. Mme Le Pen avait affirmé que c’était « probablement plus du double », en raison de l’immigration irrégulière. L'immigration illégale, notamment en provenance des Comores, est souvent pointée du doigt pour justifier des chiffres de population qui seraient sous-estimés La polémique a ressurgi après les dégâts considérables entraînés par le passage du cyclone Chido le 14 décembre 2024. Les élus locaux ont relancé le débat en estimant que le chiffre réel de population était plutôt de l’ordre de 500 000 habitants. Le premier ministre lui-même a déclaré lors de sa visite dans l’archipel que « pour l’instant, il n’y a pas de recensement fiable à Mayotte » tandis que le ministre des outre-mer a évoqué lui aussi le 13 janvier 2025 « sans doute » le chiffre de 500 000 habitants devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Cette situation a conduit le directeur interrégional La Réunion – Mayotte à donner un interview publie le 1er janvier 2025 dans le journal Ouest-France et le directeur général de l’Insee à répondre aux questions du journal Le Monde le 17 janvier dans un article publié dans le numéro daté du mardi 21 janvier.
L’Insee ne cache pas les difficultés inhérentes au recensement du 101e département français qui compte 50 % d’étrangers, dont la plupart sont en situation irrégulière. Mais l’Insee précise qu’il est faux de dire que ces personnes ne répondent pas. Les taux de réponse sont en fait plutôt meilleurs dans les habitats de tôle des bidonvilles (les « bangas ») que dans les logements en dur. La principale difficulté est de bien identifier le bâti, ce que les statisticiens locaux s’efforcent de faire à travers une remise à jour régulière de la cartographie. Les chiffres fournis par les enquêtes de recensement sont confrontés avec d’autres données : photographies aériennes, cartes SIM, branchements au réseau électrique, nombre d’enfants scolarisés, mais aussi consommation de produits de base tels que l’eau, l’huile, le sucre ou le riz. Même un scénario à 400 000 habitants ne serait pas compatible avec ces données complémentaires car il supposerait une baisse très importante de la consommation alimentaire par personne tout à fait invraisemblable. Il convient d’ajouter que les enquêteurs sont mahorais et parlent les langues locales, ce qui permet aux opérations de collecte d’être tout à fait satisfaisantes. Ces efforts supplémentaires sont sans commune mesure avec ce qui peut être fait dans les autres départements français.
Il est important, comme le rappelle le directeur général de l’Insee, que l’on discute sur des faits mesurés et contrôlables et pas sur des ressentis ou des affirmations non documentées. C’est aussi la conclusion que le billet d’humeur du numéro 40 de La Statistique dans la Cité avait proposée.
Humour
2025 est une année extraordinaire pour les statisticiens
2025 est un carré parfait : 2025 = 45 x 45. La dernière année ayant cette propriété était 1936 (44 x 44) : une très grande majorité d’entre nous n’étaient pas encore nés. La prochaine sera 2116 (46 x 46) : aucun d’entre nous ne la connaîtra. De plus, 2025 peut s’écrire (20 + 25) 2.
Et encore : 2025 = (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9) 2
La précédente de la série était l’année 1296 (= (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8) 2)
Et la suivante sera l’année 3025 (= (1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9 + 10) 2)
Et aussi : 2025 = 1 3 + 2 3 + 3 3 + 4 3 + 5 3 + 6 3 + 7 3 + 8 3 + 9 3
Les précédentes et suivantes de la série sont les mêmes (1296 et 3025), car on peut montrer que (1 + … + n) 2 = 1 3 + … + n 3
2025 est donc bien une année exceptionnelle !
Nous avons lu
Dans un article publié dans Variances du 12 décembre 2024, Colombe Saillard présente les résultats de la dernière vague de l’enquête TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study). Cette enquête évalue tous les quatre ans le niveau en mathématiques et en sciences des élèves de CM1 et de quatrième et ses résultats ont été publiés le 4 décembre 2024. Ils se basent sur des données collectées en 2023 et confirment un constat déjà connu : le niveau des élèves français en mathématiques aux deux niveaux étudiés est en-dessous de la moyenne de pays de l’OCDE. Au moins n’y a-t-il pas de dégradation entre 2019, date de la vague précédente, et 2023.
Colombe Saillard met l’accent sur un enseignement particulièrement préoccupant de cette dernière vague TIMSS : l’écart de niveau en mathématiques entre filles et garçons en CM1 s’est creusé en 4 ans, de 14 à 23 points. Cet accroissement est dû, à parts égales, à une augmentation du niveau des garçons et à une baisse de celui des filles.
Trois autres études, spécifiquement françaises celle-là, font le même constat et montrent que cet écart n’existe pas à l’entrée au CP : il apparaît au début de la scolarisation en primaire. La recherche des causes de cet accroissement de l’écart est complexe. Mais les analyses réalisées ne montrent pas d’influence significative du contexte familial ou scolaire. Il s’agirait plus d’un « phénomène diffus », lié aux stéréotypes de genre concernant les sciences.
L’article se termine par une mise en garde de l’autrice : il n’y a pas de lien direct entre écarts de performance et écarts d’orientation vers les formations ou carrières scientifiques. A niveau en mathématiques égal, les filles sont moins représentées dans ces dernières. Comprendre comment réduire ces inégalités de genre reste un sujet sur lequel travaillent de nombreux chercheurs, dont l’autrice de l’article.
Un ouvrage de Vaclav Smil, scientifique et analyste politique canadien, paru le 1er juillet 2024 aux éditions Cassini : Comment marche vraiment le monde. Il est sous-titré Le Guide scientifique de notre passé, présent et futur. Traduit de l’anglais, il est préfacé par Jean-Marc Jancovici et fournit des références chiffrées et historiques sur le fonctionnement du monde qui nous entoure. Il n’a pas pour but de délivrer des messages ou de proposer des solutions aux problématiques environnementales et de ressources de notre monde. Il présente une analyse systémique de notre monde à travers une (re)mise en lumière explicative des réalités du fonctionnement de notre planète et de nos sociétés, en décrivant factuellement les évolutions observées au cours des siècles, notre situation actuelle et ses perspectives en s’appuyant sur une masse de références chiffrées.
L’ouvrage est structuré en commençant par une revue des sujets énergétiques, de production alimentaire, de matériaux. L’auteur présente une quantification historique des productions et consommations énergétiques, par source d’énergie, ainsi qu’une mise en perspective chiffrée de la décarbonation et de sa trajectoire. Sont ensuite décrites les évolutions chiffrées de l’alimentation, de ses sources et de ses problématiques de mobilisation de ressources humaines et énergétiques. Puis sont étudiés la genèse et les volumes de besoins et de production de matériaux, notamment pour les quatre piliers de la civilisation moderne selon l’auteur (ciment, acier, plastiques, ammoniac).
L’ouvrage aborde ensuite les sujets de mondialisation, de risques, d’environnement, en retraçant leurs évolutions historiques, et en en quantifiant les différents aspects, non seulement sous l’aspect macroéconomique mais aussi pour ce qui concerne nos vies quotidiennes. Il comporte aussi un appendice utile à la compréhension des nombres et des ordres de grandeur, pour rendre plus parlants les nombreux chiffrages mentionnés.
En combinant les récits historiques sur le développement économique et technologique de nos sociétés aux explications scientifiques du fonctionnement de tous les « systèmes » complexes qui nous entourent et font notre monde, cet ouvrage se veut un guide pour la compréhension de nos civilisations et des enjeux de ressources, de technologies, d’organisation et de risques, et aussi financiers.
En fournissant les références factuelles permettant de dépasser les idées simples et les incantations politico-médiatiques, cet ouvrage vise à donner au lecteur les faits pour remettre « les pieds sur terre », dans une forme très accessible pour le profane mais sans pour autant donner des leçons. Et sur la base des nombreuses données statistiques rassemblées par l’auteur, c’est dans cette démarche très scientifique d’analyse du fonctionnement de nos systèmes, de leurs interactions et de leurs complexités que se situe une grande partie de la valeur ajoutée de cet ouvrage.
Annonce de manifestation
Le 65e Congrès Mondial de la Statistique de l’Institut International de Statistique (ISI) aura lieu à La Haye du 5 au 9 octobre 2025. Plusieurs réunions satellites sont organisées ; en particulier, une réunion est organisée par l’ International Association for Official Statistics (IAOS) à l’Institut Polytechnique de Turin du 7 au 11 juillet 2025 sur l’estimation, les enquêtes et la « data science » dans de petites zones.
Vie du groupe
Depuis la parution du précédent numéro de La statistique dans la cité, deux Cafés de la statistique ont été organisés au Café du Pont-Neuf, le mardi 14 janvier où le Résil (Répertoire statistique des individus et des logements) a été présenté par Olivier Lefebvre (Insee) et le mardi 10 février où Akiko Suwa-Eisenmann, chercheuse senior à l’Inrae (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et professeure à PSE (Paris School of Economics) a parlé de la sécurité alimentaire. Les prochains Cafés auront lieu :
- le mardi 11 mars 2025 : une séance sur les discriminations sera introduite par Yannick L’Horty, Professeur d’économie à l’Université Gustave Eiffel, directeur du projet du CNRS Théorie et Évaluation des Politiques Publiques et de l’Observatoire National des Discriminations et de l’Egalité dans le Supérieur (Ondes) ;
- le mardi 8 avril 2025 : l ’économie de guerre avec Julien Malizard, titulaire de chaire à l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) ;
- le mardi 20mai 2025 : les déserts médicaux avec Guillaume Chevillard, de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) ;
- le mercredi 4 juin 2025 pendant les Journées de Statistique à Marseille sur le thème des inégalités territoriales.
Les cafés lyonnais de la statistique poursuivent leurs activités avec notamment l’organisation le mardi 28 janvier d’un Café sur le thème de la statistique au service de la police scientifique présenté par Magalie FAIVRE et Fanny GUILLET, du Service National de Police Scientifique (SNPS) à Ecully.
Responsable de l’infolettre : Antoine Moreau, président du groupe SEP Rédacteur en chef : Jean-Louis Bodin Webmestre : Érik Zolotoukhine
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