Sommaire du n° 36
Éditorial
Méthodes : - Le NIR et les bases de données : en finir avec un tabou français ?
Vie des institutions : - La Chine a interrompu la publication des chiffres du chômage des jeunes
Feuilleton : - Le point sur l’affaire Georgiou : une bonne nouvelle
Anniversaires
Nous avons lu
Nous avons écouté
Annonces
Vie du groupe
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Editorial
Le groupe Statistique et enjeux publics est en deuil. Notre présidente Chantal Cases nous a quittés le 15 juillet à l’âge de 67 ans ; son décès a été un choc auquel nous ne nous attendions pas. Chantal avait été élue membre du bureau de notre groupe en 2018 et elle en avait assuré la présidence après avoir pris sa retraite en 2020, à une période particulièrement difficile en raison du début de la pandémie de Covid-19 qui nous obligeait à trouver des modes de fonctionnement adaptés. Cette responsabilité, qu’elle avait acceptée avec enthousiasme, reflétait bien la vision qu’elle avait de son métier et de ses choix de carrière : être utile à la société.
Les statistiques sociales ont été le fil conducteur de la carrière de Chantal. Elle a été, de 2000 à 2006, sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le service statistique ministériel dans les domaines de la santé et du social ; puis, de 2006 à 2009, elle a été directrice de l’Irdes, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé. Chantal a été ensuite nommée directrice de l’Ined, l’Institut national d’études démographiques, où elle a effectué deux mandats et dont elle a organisé le transfert sur le campus Condorcet à Aubervilliers. En 2016, elle est devenue directrice des statistiques démographiques et sociales à l’Insee, poste qu’elle a occupé jusqu’à sa retraite.
Il est difficile de mentionner toutes les responsabilités importantes qu’elle a pu exercer par ailleurs à différents titres. Elle a notamment été membre des conseils d’administration de l’Établissement public de coopération scientifique (EPCS) du Campus Condorcet, de l’École d’économie de Paris, ou du Centre d’études de l’emploi ; elle était aussi membre de la commission des comptes de la santé, membre du comité directeur de l’Observatoire franco-québécois Santé et solidarité ainsi que du comité directeur du programme Ageing and Living Conditions à l’université d’Umeå (Suède), pour ne prendre que quelques exemples.
Dans tous les postes qu’elle a occupés, dans son cursus professionnel mais aussi en présidant notre groupe pendant trois années, Chantal a fait preuve d’une énergie considérable, d’une exceptionnelle capacité de travail et de qualités personnelles et humaines appréciées par toutes celles et ceux qui ont eu le privilège de la connaître. Avec modestie mais avec bienveillance et fermeté, elle cherchait à apaiser les tensions et à obtenir un consensus.
Elle manquera considérablement à notre groupe qui va devoir poursuivre ses activités sans sa présence chaleureuse et efficace. Nous allons poursuivre pendant cette saison 2023-2024 l’organisation des Cafés de la statistique et l’édition de la lettre bimestrielle La statistique dans la cité. La rubrique habituelle Vie du groupe de ce numéro apportera plusieurs informations à cet égard sur ces activités.
Nous rappelons que la totalité des numéros passés de La statistique dans la cité sont accessibles dans les pages de notre groupe sur le site de la SFdS. Et comme d’habitude, nous souhaitons vivement que nos lecteurs nous fassent part de leurs réactions et de leurs commentaires sur nos activités et en particulier sur cette infolettre en nous écrivant à l’adresse sep@sfds.asso.fr.
Méthodes
Le NIR et les bases de données : en finir avec un tabou français ?
La loi informatique et libertés (LIL) de janvier 1978 a inspiré les lois similaires en Europe et dans le monde : ce sont les remparts ultimes de la vie privée et des droits des personnes face à la prolifération des données personnelles et contre les abus auxquels sont tentés de se livrer les États et les entreprises.
Cela étant, on doit oser critiquer sans tabou une survivance du contexte particulier dans lequel la loi a pris naissance si des dispositions probablement obsolètes contraignent inutilement certains usages des données présentant un intérêt public évident. Il en va ainsi d’une méfiance particulière à l’égard du NIR (Numéro d’Inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques), connu sous le nom de numéro de sécurité sociale et qui sert désormais d’identifiant national de santé mais dont l’usage, en particulier pour l’appariement de données issues de sources différentes reste très fortement encadré.
Cette méfiance propre à la France pourrait relever seulement de l’anecdote voire du folklore : une tribune de Philippe Boucher dans Le Monde en mars 1974 intitulée « Safari (1) ou la chasse aux Français » a enflammé les esprits et la polémique a engendré la loi de janvier 1978 qui encadrait strictement les usages du NIR (y compris la consultation du RNIPP) :
- parce que l’on croyait dans les années 1970, aux premiers temps de l’informatique, qu’on ne pouvait pas réaliser un croisement de fichiers nominatifs sans un (bon) index numérique commun (2) ;
- parce qu’on pensait ainsi empêcher indirectement les croisements de fichiers indésirables en contrôlant l’usage de l’index qui les rendrait possibles ;
- et parce que l’on ignorait tout encore du rôle essentiel qu’allaient jouer les traitements de données non nominatives à des fins de recherche et d’évaluation
Or on s’est avisé depuis que ni les administrations ni les entreprises n’ont besoin d’index numérique commun pour « recouper des fichiers » (on dit aujourd’hui apparier des bases de données) quand ces bases de données sont nominatives comme le sont les bases utilisées à des fins opérationnelles (par exemple les rôles des impôts ou le casier judiciaire, ou bien les fichiers des clients ou du personnel). Les moteurs de recherche font ça très bien avec les noms, prénoms, dates et éventuellement lieux de naissance : aujourd’hui ni les homonymies ni les fautes d’orthographe dans les noms de famille ne protègeraient efficacement les personnes et les libertés contre des appariements illicites de bases de données nominatives !
Heureusement, les versions successives des législations issues de la loi de 1978, ainsi que le RGPD européen (Règlement général sur la protection des données), ont atteint leur but : elles sanctionnent efficacement et directement les traitements illicites de données personnelles, y compris les appariements s’ils ne sont pas conformes à la loi. Dans un État de droit, aucun responsable d’administration ou d’entreprise ayant pignon sur rue ne prend le risque de procéder à des traitements illicites de fichiers surtout dans le cas de données sensibles : ça finit par se savoir et les sanctions pénales infligées (lourdes amendes et prison, sans parler du risque d’image) sont dissuasives.
Malheureusement, au contraire, un encadrement excessif des usages du NIR est très efficace pour empêcher ou freiner les appariements entre bases de données non nominatives (généralement pseudonymisées (3)) alors même que ces appariements sont essentiels pour la recherche et l’évaluation des politiques publiques !
Il faut admettre que les pouvoirs publics en concertation avec la Cnil et notamment sous la pression des chercheurs ont su faire évoluer le texte de la loi française. Ainsi la période où il fallait produire un décret en Conseil d’État sur avis de la Cnil (une procédure lourde) pour chaque traitement de données incluant un usage du NIR (ce qui était évidemment impossible à obtenir pour des chercheurs) est révolue depuis l’entrée en vigueur de l’article 30 de la LIL et de son décret d’application du 19 avril 2019 encadrant l’usage du NIR dans les traitements de données aussi bien dans le cas des administrations (données nominatives) que dans les cas des statisticiens et des chercheurs (données pseudonymisées).
Pour les données administratives, le décret en question est une liste interminable mais nécessairement incomplète des cas de figure où des administrations peuvent avoir besoin d’apparier leurs données nominatives à des fins opérationnelles. Cela revient à une forme d’autorisation préalable, acquise pour les uns mais à obtenir pour les autres à chaque fois qu’un cas imprévu ou une nouvelle demande se présente. Cette procédure lourde semble contraire à l’esprit du RGPD où la balle est dans le camp des demandeurs de traitement qui doivent définir le projet, le justifier, le documenter, produire une étude d’impact et enregistrer son déroulement en s’exposant aux contrôles et aux sanctions de l’autorité de contrôle. Ne serait-il pas raisonnable, tout en s’appuyant sur les réflexions d’où est issu le décret actuel, de laisser aux administrations la charge de la preuve et le risque des contrôles et des sanctions ?
Pour ce qui est des appariements de bases de données pseudonymisées, destinées à la statistique publique ou à la recherche, l’article 30 de la LIL marque aussi un progrès sensible mais inégal :
- la statistique publique et les chercheurs sont autorisés à apparier des bases de données en utilisant la procédure dite du NIR haché à condition qu’il ne s’agisse pas de données sensibles (celles visées aux articles 6 et 46 de la LIL : santé, religion, opinions politiques, condamnations etc.) ; ils sont soumis à un droit commun résultant à la fois du RGPD (pas d’autorisation préalable, fourniture d’une étude d’impact) et des procédures du Code des relations entre le public et les administrations (comité du secret statistique, ….) ;
- la statistique publique gère elle-même sa procédure d’indexation des données par hachage du NIR alors que les chercheurs doivent faire appel à un tiers de confiance ;
- la recherche en santé demeure placée sous le régime de l’autorisation préalable par la Cnil (sauf dans le cas des déclarations de conformité à une méthodologie de référence déjà approuvée) et il n’est pas question dans les textes d’une généralisation de la procédure du NIR haché avec tiers de confiance pour les appariements de bases de données ; dès lors les appariements entre données de santé et autres données personnelles demeureront un casse-tête et les traitements portant sur ces données mixtes seront soumis à des procédures d’autorisation ou de contrôle en cascade ;
- la question des entrepôts de données sécurisés où effectuer les traitements de données reste obscure lorsqu’il s’agit de bases appariées entre des sources différentes, voire entre des domaines d’activité différents ; à ce jour, les responsables des traitements restent libres de choisir les plateformes techniques qui leur conviennent si elles présentent les garanties nécessaires mais la voie de la mutualisation ou du monopole a aussi des partisans en France et en Europe.
Bref, malgré les progrès, il reste une marge de progression si on veut que notre droit facilite la mise en valeur de notre immense capital de données, y compris les données de santé, tout en garantissant la protection des droits des personnes.
(1) A l’Insee quelqu’un avait trouvé astucieux de nommer Safari (Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus) un projet de centralisation du répertoire des individus (aujourd’hui RNIPP) en vue notamment de faciliter la tenue et le recoupement des fichiers administratifs. Le recoupement de fichiers nationaux par le ministère de l’Intérieur avait conduit certains à évoquer à la fois la période du régime de Vichy et le Big Brother de George Orwell.
(2) Accessoirement on a aussi reproché au NIR d’être signifiant : il indique le sexe (ou le genre : Cf. l’article à ce sujet dans le n° 28 de La Statistique dans la Cité ), le mois, l’année et le lieu de naissance enregistrés à la naissance.
(3) Il ne suffit pas en général de supprimer les traits d’identité (noms etc.) pour rendre vraiment anonymes les données d’une base : la précision des informations permet d’y reconnaître les personnes sur lesquelles on dispose par ailleurs d’informations (âge, commune du domicile, métier etc.). Pour chaîner les données relatives à une même personne dans la base, on lui attribue un pseudonyme (la Cnil recommande un numéro obtenu à partir du NIR par un procédé cryptographique irréversible, dit de hachage ). Pour apparier deux bases de données venant de sources différentes mais où les mêmes personnes sont présentes sans qu’on dispose de leur NIR, la solution simple est que les deux bases soient fournies avec le même « NIR haché ». Pour être sûr qu’aucun des gestionnaires de base ne puisse remonter au NIR, on a intérêt à faire appel à un tiers de confiance qui puisse disposer des NIR et produire ainsi les « NIR hachés » identiques qui serviront à réunir les deux bases.
Vie des institutions
La Chine a interrompu la publication des chiffres du chômage des jeunes
À la mi-août, plusieurs médias français (Le Figaro, Le Monde, Libération, …) ou étrangers (New York Times, Washington Post, The Guardian, …) ou encore l’agence Reuters se sont fait l’écho de la décision du Bureau national des statistiques de Chine d’arrêter de publier les chiffres du chômage des jeunes (16 - 24 ans) après un chiffre record de 21,3 % de chômeurs en juin dernier dans cette tranche d’âge. Cette décision se situait dans un contexte de morosité croissante de l’économie chinoise (chute des exportations, marasme du secteur immobilier, faible tenue de la consommation des ménages, entrée en déflation, …).
Feuilleton
Le point sur l’affaire Georgiou : une bonne nouvelle
Les deux précédents numéros de La statistique dans la cité (34 et 35) avaient fait le point sur le feuilleton juridique et le harcèlement qu’Andreas Georgiou, président de l’office statistique grec, Elstat, de 2010 à 2015, subit depuis maintenant plus de dix ans. Le n° 35 faisait état de l’appel par le gouvernement grec de l’arrêt du 14 mars 2023 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui avait estimé que ses droits à une défense équitable avaient été violés ; le gouvernement grec n’était donc pas tenu dans l’immédiat de rouvrir le procès qui avait conduit à condamner Andreas Georgiou à deux ans de prison (avec sursis) pour « violation du devoir » pour avoir transmis à Eurostat les chiffres de l’année 2009 sans avoir demandé l’aval du conseil d’administration d’Elstat alors que le code de bonnes pratiques de la statistique européenne attribue au responsable de l'Institut national de la statistique « la responsabilité exclusive du choix des méthodes, normes et procédures statistiques, du contenu et du moment des publications statistiques ». Mais nous venons d’apprendre par un communiqué du ministère grec des finances que le gouvernement grec a retiré cet appel. D’après ce communiqué, le retrait de l'appel a été décidé parce que « celui-ci nuisait à l'image de la Grèce ». Un nouveau procès va donc avoir lieu et il est à espérer que l’analyse faite en mars 2023 par la CEDH sera prise en compte par les magistrats.
Andreas Georgiou considère le retrait de cet appel comme une évolution très positive, non seulement pour être enfin reconnu non coupable des faits qui lui sont reprochés, mais, plus important encore, pour entretenir l'espoir que de bons signaux seront enfin envoyés aux statisticiens publics en Grèce pour le respect du principe éthique d'indépendance professionnelle et des autres principes du code de bonnes pratiques de la statistique européenne.
Anniversaires
Il y a 30 ans, le 21 septembre 1993, les quatorze pays d’Afrique subsaharienne membres de la Zone franc signaient à Abidjan le traité portant création de l’Observatoire économique et statistique de l’Afrique subsaharienne, plus connu sous le nom d’Afristat. Cette organisation internationale, qui comprend aujourd’hui vingt-deux États membres, a pour rôle de conseiller les instituts nationaux de statistique de ses membres et de soutenir leur action ; elle dispose de pouvoirs réglementaires dans le domaine de l’harmonisation des concepts, des normes et des méthodes statistiques. Afristat répond ainsi à la préoccupation africaine d’intégration économique régionale, qui suppose l’homogénéité et la comparabilité des informations statistiques. Il joue un rôle essentiel dans l’organisation de la coopération entre ses membres et dans la coopération statistique avec les pays partenaires au développement, dont, bien sûr, la France.
Il y a 400 ans, le 16 juin 1623, naissait Blaise Pascal à Clermont en Auvergne.
Nous avons lu ...
L’Autorité de la statistique publique (ASP) ainsi que l’Insee ont publié ces derniers mois leur rapport annuel d’activité.
Le rapport 2022 de l’ASP insiste sur le contexte complexe de l’activité du service statistique public (SSP) en raison des tensions sur l’appareil productif liées à la reprise qui a suivi la crise sanitaire et aux effets de la guerre en Ukraine : flux de réfugiés, difficultés d’approvisionnement et envol des prix de l’énergie, répercussions inflationnistes sur l’ensemble des prix à la production et à la consommation. Il note que le SSP a su développer son éclairage des disparités sociales et sociétales dans une période où les inégalités sociales sont ressenties de façon de plus en plus aigüe. La consolidation des règles d’indépendance professionnelle et la mise à disposition de supports de diffusion se sont traduites par l’adoption début 2023 d’un cadre de référence commun concernant le processus de diffusion de l’ensemble des publications statistiques du SSP. Les lecteurs de La statistique dans la cité sont invités à consulter ce rapport très riche et qui permet, comme nous le souhaitons, d’enrichir le débat public en montrant comment la statistique peut éclairer les problèmes de société.
Le rapport d’activité 2022 de l’Insee rend compte de la façon dont l’Institut a de nouveau su s’adapter en documentant dans des délais serrés la crise énergétique et ses conséquences tout en poursuivant ses missions programmées. Le rapport relate aussi comment l’Institut a coopéré aux travaux de la présidence française de l’Union européenne pendant le premier semestre de l’année 2022 en assurant la présidence du groupe Statistique du Conseil ; il a notamment fait progresser la réflexion sur l’évolution du règlement 223/2009 qui établit le cadre juridique pour le développement, la production et la diffusion des statistiques européennes et a négocié un compromis avec le Parlement européen sur le très délicat règlement-cadre sur les statistiques agricoles.
Dans son édition du 3 août 2023, Le Monde a rendu compte d’une étude menée par l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT).
Cette étude vise à calculer le coût social de diverses drogues, qu’elles soient licites (alcool, tabac) ou non. Ce calcul prend en compte tant le coût pour la société (vies perdues, pertes de production, perte de qualité de vie) et pour les finances publiques (soins, prévention, répression) que les bénéfices (taxes, retraites non versées). Le coût social du tabac en 2019 est ainsi estimé à 155 milliards d’euros, celui de l’alcool à 102 milliards d’euros, très loin devant les drogues illicites à 8 milliards d’euros.
L’essentiel de ce coût social provient du coût pour la société (perte d’années de vie, de qualité de vie, de production pour les entreprises). Il y a évidemment une forte dose d’arbitraire dans cette partie du calcul. Comment chiffre-t-on une vie humaine ? Pourquoi ne pas tenir compte du plaisir (il y en a forcément un…) que retirent les fumeurs de tabac et les buveurs d’alcool de leur addiction ? Comment tenir compte dans ce coût social du fait que les taxes sur le tabac et l’alcool sont régressives et touchent de manière disproportionnée les plus pauvres ? Si l’on s’en tient à la partie la plus solide du calcul, celle du coût pour les finances publiques, on obtient un coût net de 1,3 milliards d’euros pour le tabac et de 3,3 milliards d’euros pour l’alcool.
Ces chiffres sont évidemment cruciaux pour orienter le débat public et permettre de « hiérarchiser la réponse sanitaire et politique », selon les derniers mots de l’article. On peut cependant trouver regrettable que l’article balaie d’un revers de main, en les traitant de « cyniques » et « faux », les calculs d’autres études qui arrivent à des résultats opposés pour les finances publiques. Par exemple, une étude de 2017 de l’Institute of Economic Affairs, rapportée par The Economist dans son édition du 28 juillet 2018, calculait que le tabac et l’alcool rapportaient respectivement 14,7 et 6,5 milliards de livres au Trésor britannique, là où l’obésité lui coûte 2,5 milliards de livres. Ces différences sont peut-être dues aux différences entre les systèmes fiscaux, sanitaires et sociaux de la France et du Royaume-Uni.
Mais, au lieu de se placer d’un seul point de vue (celui, peu scientifique, de la décence contre le cynisme), l’article aurait gagné en pédagogie en remettant en perspective les enjeux du débat et de ces calculs de coûts sociaux. Après tout, cette fois de manière certaine, les taxes et campagnes anti-alcool et anti-tabac influent sur les comportements et sauvent des vies. N’est-ce pas, simplement, ce qu’on en attend ?
Un numéro spécial de Variance rappelle notamment deux articles parus dans son « Webzine » ; ces deux articles recoupent les préoccupations de notre Groupe :
- l’un, paru le 17 septembre 2023, est une note de lecture sur l’ouvrage Les chiffres clés de l’immigration, 2019, en 28 fiches publiée le 22 juin 2021 par le service statistique rattaché à la Direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’intérieur ; l’auteur estime que, si cet ouvrage de référence comble un manque et contient de nombreuses informations indispensables, il convient de le considérer comme un bilan de politiques publiques et non comme une étude démographique ;
- l’autre, paru le 29 septembre 2023, est relatif à l’immigration qualifiée ; ce numéro présente cinq analyses sur ce thème ; leurs auteurs en tirent la conclusion que l’immigration a un impact positif sur la croissance économique, mais que certaines conditions sont nécessaires pour qu’il en soit ainsi ; ils déplorent que le débat public se fonde sur des faits erronés et porte trop sur des questions identitaires et sécuritaires.
Un autre numéro de Variance, daté du 31 août 2023, publie un article intitulé : Au juste, comment l’inflation est-elle mesurée ? Cet article présente un panorama sur la manière dont l’inflation est mesurée et donne un éclairage sur l’évolution des données et des techniques utilisées et sur les enjeux auxquels les statisticiens sont confrontés.
Nous avons écouté ...
France Inter avait organisé le lundi 11 septembre un débat sur l’immigration entre Thibaut de Montbrial et Najat Vallaud-Belkacem.
Au début de ce débat, Thibaut de Montbrial a affirmé qu’il y a 472 000 entrées correspondant aux demandes de premier séjour et aux demandes de régularisation (4) contre 20 000 retours volontaires ou non, soit 450 000 entrées nettes.
Najat Vallaud-Belkacem lui a répondu que ces chiffres n’étaient pas exacts, et, citant le livre de Hervé le Bras, elle a indiqué que le flux des entrées d’immigrés est de 180 000 par an et celui des entrées nettes de 140 000 si on tient compte des décès. Ces chiffres correspondant aux ordres de grandeur cités par François Héran (5) sur l’effectif annuel d’immigrés supplémentaires établi à partir des résultats du recensement de la population. Elle a ajouté qu’il faut exclure des données citées les Français nés à l’étranger, et que, parmi eux, sont comprises 90 000 personnes venant de l’Union européenne (6). Ce à quoi Thibaut de Montbrial a répondu en insistant sur la place de plus en plus grande prise par la population immigrée non européenne en France.
En fait les chiffres cités par les deux intervenants sont exacts, mais l’auditeur « lambda » a été assailli en trois minutes par une série d’informations dont il a eu sans doute un peu de mal à comprendre l’articulation. La statistique dans la cité ne peut qu’insister à nouveau sur l’importance d’expliquer comment sont construits les chiffres avant de les brandir !
Signalons par ailleurs que, dans son édition datée du 5 octobre 2023, Le Monde publie une tribune de François Héran sous le titre Abandonnons les vieilles rengaines sur l’immigration et prenons la mesure du monde tel qu’il est.
(4) Dans sa publication du 22 juin 2023, le Département des statistiques, des études et de la documentation de la DG des étrangers en France (ministère de l’intérieur) estime que, en 2022, environ 320 000 titres de séjour ont été délivrés, dont un tiers à des étudiants.
(5) « Immigration : le grand déni », La république des idées, 2023, François Héran.
(6) Effectivement il y a eu près de 100 000 Britanniques en 2021, ils ne sont plus que 11 000 en 2022.
Annonces
La 19e Conférence de l’International Association for Official Statistics (IAOS) se tiendra du 15 au 17 mai 2024 dans la ville de Mexico.
L’IAOS est une des associations de la famille de l’International Statistical Institute (ISI). Cette conférence se tient conjointement avec la conférence régionale de l’ISI pour l’Amérique et le slogan conjoint de ces deux conférences est de définir ce que pourrait être un nouveau contrat social bâti sur des données basées sur la valeur et la confiance (value and trust). On peut consulter l’ appel à communications sur le site de la Conférence.
L’Association de comptabilité nationale (ACN) organise son prochain colloque dans la deuxième quinzaine de juin 2024.
Le prochain colloque de l’ACN se tiendra dans la deuxième quinzaine du mois de juin 2024, probablement les 20 et 21. Cette date est particulièrement favorable : il s’agira du premier colloque à traiter de la nouvelle base des comptes français ainsi que des décisions définitives des prochaines versions (2025) du Système de comptes nationaux des Nations unies (SCN) et du Système européen de comptes (SEC) 2025. Ce colloque aura lieu dans l’auditorium de l’OCDE à Boulogne-Billancourt. Le programme du colloque abordera tous les sujets d’actualité : nouvelles normes comptables, environnement, numérique, inégalités, énergie, défense...
Vous pouvez en savoir plus sur ce colloque en écrivant à l’adresse de courriel de l’ACN : Association-de-comptabilite-nationale-dg@insee.fr.
Vie du groupe
Le bureau du Groupe a élu le 15 septembre Antoine Moreau à sa présidence. Ses autres membres sont Jean-Pierre Le Gléau (trésorier), Erik Zolotoukhine (webmestre), Brigitte Belloc, François Guillaumat-Tailliet, Pierre Yves Le Corre, André Loth, Marion Selz et Olivier Vasseur. Jean-Louis Bodin, non membre du bureau, est rédacteur en chef de La statistique dans la cité.
Le premier Café de la saison 2023-2024 aura été organisé le mardi 17 octobre, notre invité ayant été François Héran sur le thème Quelles données aujourd'hui pour nourrir le débat public sur l'immigration ?
D’ici la fin de l’année seront organisés deux autres Cafés :
- le mardi 21 novembre avec Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee sur le thème L’inflation : son ressenti, ses mécanismes ;
- le mardi 5 décembre avec Sylvain Moreau, directeur des statistiques d’entreprises à l’Insee, sur le thème La réindustrialisation de la France.
Responsable de l’infolettre : Antoine Moreau, président du groupe SEP Rédacteur en chef : Jean-Louis Bodin Secrétaire de rédaction : Jean-Pierre Le Gléau Webmestre : Érik Zolotoukhine
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